je me souviens de mon engagement pour l'Algérie au Bas-Fort-Saint
Nicolas, du dur apprentissage au 2eme REP, des
semaines que nous passions dans la montagne, des dénivellations
que l'on escaladait les unes apres les autres, de l'addition des heures
et des heures de marche dont on ne voyait jamais la fin.
Des
nuits humides ou l'on tremblait de froid sous les tentes indiduelles, habillés "de guenilles camouflées", sous
la pluie qui tombait dru pendant des heures et nous glaçait les
os.
Du café du matin que l'on faisait chauffer avec quelques brindilles,
comme
si nous tenions de l'or dans nos mains pour nous réchauffer.
Des
interminables garde de nuits passées a contempler les étoiles, pendant que dans ma tête,
mes pensées se heurtaient a
des murailles de questions dont je n'avais jamais les réponses.
De la reprise épuisante de la marche au petit matin ,pendant
des jours et des jours, avancer, mettre une jambe devant l'autre,
monter, escalader, avec
l'arme et le sac qui nous sciait les épaules.
Je
me souviens n'avoir jamais eu de repos, de Samedi, de Dimanche. D'avoir
habité des tentes ou des barraques Filliot prévues pour
le Sud Saharien, alors que le thermomètre descendait très
largement en dessous de zéro.
Je me souviens du poêle a charbon "quand il y en avait",
ou nous nous aglutinions pour nous réchauffer le soir dans ces
mêmes barraques, une couverture sur les épaules, dans un
cloaque, ou le meilleur régiment de France avait été
honteusement cantonné.
De
la bouffe innomable que l'on nous servait faute de ravitaillement.
Des rations de combat qui était notre nourriture quotidienne
Je
me souviens du pouvoir exhorbitant des Caporaux qui faisaient régner
la "discipline".
De la pelle et de la pioche pour l'aménagemnt du camp, qui de
bourbier peuplé de vignes, se transforma en quelques années
en un jardin de fleurs et de rangées de pierres blanchies a la
chaux.
Je me souviens de la rareté de l'eau que nous distibuions avec
largesse pour les jardins, mais qui n'était accessible pour se
laver, qu'a certaines heures pour ne pas dire quelques minutes, la priorité
étant accordée aux massifs de fleurs et aux jardins. Les
jardins d'abord.....
Je
me souviens des 300,00 frs de notre solde que nous allions mendier a
l'officier payeur
Je me souviens de la "discipline" qui ne tolérait aucun
manquement.
Je me souviens de mon Commandant de Compagnie le Capitaine Charrot,
qui
pratiquait la tolérance quand la discipline s'abattait impitoyablement
sur nous, de mon adjudant de compagnie l'adjudant chef Abstein, un des
vieux Maréchaux de la Légion, de ses silences.....
Ce soir veille de Noêl, je me souviens de tout. Je n'ai rien oublié
de cette terre Algérienne.
Je
me souviens de notre départ au Tchad en 1969 en quelques heures.
Je me souviens du "dénument" dans lequel nous a laissé
notre Ministre et les politiques.
Je me souviens de la peur, de la soif, de la faim, des "maladies
endémiques" dont nous étions tous atteints, et des
conditions inhumaines dans lesquelles ces opérations se sont
déroulées, en particulier a la 2ème Compagnie.
Je
me souviens du ballet des hélicos emportant les évacuations
sanitaires, des maladies, du manque de médicaments, de l'etat d'épuisement
physique et moral dans lequel nous étions. Je me souviens des
km de piste avalés dans des camions T 45 hors d'usage. Des heures
d'hélicos avant "d'accrocher". De nos visages émaciés, sales,
de
nos yeux ou ne brillait plus aucune lueur, hagards, hébétés. Nous avons laissé la-bas,
dans ces contrées lointaines
de l'Afrique nos regards d'adolescents ....
De nos espoirs en attendant les avions ou les helicos sensés
nous ravitailler, toutes les routes vers Fort-Lamy étant coupées.
Je me souviens de nos tenues camouflées qui partaient en lambeaux,
des
chaussettes qui nous faisaient cruellement défaut.
Je
me souviens du bruit des pales des hélicos, dont le chuintement
des turbines annonçait toujours, un nouveau départ vers
l'inconnu, la chasse, la traque .... Je respire encore l'odeur si caractéristique
de la carlingue qui empestait une odeur chaude d'huile et d'essence.
Je me revois encore assis sur la banquette, contemplant les visages
sales couverts de sable et de poussière, des Légionnaires
de la 2ème section qui me faisaient face, tandis que par la
porte entrouverte de l'hélico défilait le paysage "lunaire"
qui s'offrait par instants a nos yeux.
La
deuxième section de la deuxième compagnie c'était
quelque chose. Comme vous me manquez maintenant. Je n'en ai jamais
revu aucun, ni reçu la moindre nouvelle. Je vous ai longtemps
cherché dans les Amicales, vous ne figurez nulle part, et pourtant
nous aurions tellement de choses a nous dire, tant de souvenirs bons
ou mauvais a évoquer. Je ne désespère pas, un
jour j'en retrouverai un par hasard et nous reformerons ensemble la
"chaine de l'Amitié" qui nous unissait. Un par un, nous reconstiturons un jour la 2ème section de la 2ème
compagnie qui sera peut-être encore plus soudée, qu'elle
ne l'était 34 ans auparavant.
Oh
oui mon Dieu, je me souviens,comment pourrais-je faire pour ne pas m'en
souvenir. On ne peut pas oublier de telles choses. On n'en ressort pas
totalement "intact" d'avoir vécu, ou vu certains évènements
ou certaines situations.
Je
me dis toujours que nos modestes carrières par rapport aux Anciens
qui nous ont précédé, nous aurons permis d'apporter
une pierre, afin de consolider l'édifice, de ce qui fait l'historique
du Régiment dans lequel nous avons eu l'Honneur de "Servir".
Plus
on descend dans les matricules, plus la contribution des Anciens envers
le Régiment aura été importante. Alors ne nous
plaignons pas et oublions nos peines et nos invalidités, qui
sont si peu de choses par rapport aux Anciens qui nous ont précédé,
et des périodes dramatiques qu'ils ont vécu.
Dans
quelques jours, dans quelques heures, je serai "seul" a
réveillonner, non pas que je sois seul dans la vie, ce n'est
pas le cas, mais ce soir la, j'ai toujours demandé a ce que
l'on ne me dérange pas. L'appartement doit-être vide.
C'est
un choix, je réveillonne avec "mon chien", c'est ainsi
que je conçois, l'organisation de ces fêtes depuis 35 ans
que j'ai quitté l'Armée.
J'ai
besoin de m'isoler, et de ne partager avec personne, le souvenir de
ces tristes Noëls de guerre, afin
de mieux me souvenir, et de reconstituer enfin le "puzzle"
de ces instants délicieux qui évoquent le souvenir de
nos infortunes.
Dans le
"receuillement" je retrouve alors les visages de mes
camarades disparus et de ceux que je n'ai jamais retrouvés, et
que je ne retrouverai peut être jamais ....
|