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Hélie DENOIX DE SAINT MARC est né a Bordeaux le
11 février 1922. Entre en classe préparatoire à
Saint Cyr en 1941 et simultanément dans la Résistance
(réseau Jade - Amicol), il a dix neuf ans. Arrêté
le 13 juillet 1943, déporté à Buchenwald
et à Langenstein. Libéré en avril 1945.
Saint Cyr (1945/47). Affecté à la Légion
: à Bel-Abbès puis à Fès au Maroc.
Premier séjour en Indochine comme lieutenant au 3°REI
(1948/49), deuxième séjour au 2°BEP (1950/53),
affecté en métropole au 11°Choc (1953), puis
troisième et dernier séjour en Indochine comme capitaine
avec le
1er BEP (1953/54).
En Algérie avec le 1er BEP puis ler REP (à compter
de septembre 1955), opération sur Suez, bataille
d'Alger en janvier 1957 ; chef de bataillon, sous-chef d'état-major
de la 10°DP puis à nouveau au 1er REP dont il prend
le commandement pour le Putsch du 21 avril 1961 qui allait tenter
sans succès de sauver l'Algérie française.
Sa condamnation à 10 ans de détention " criminelle
" à l'issue de son procès en juillet 1961 provoque
la démission du Chancelier de l'Ordre de la Libération,
le Général Ingold.
La déposition du Commandant de Saint Marc peut se résumer
à travers cette phrase :
" On peut demander beaucoup à un soldat, en particulier
de mourir, c'est son métier. On ne peut lui demander de
tricher, de se dédire, de se contredire, de se renier,
de se parjurer ".
Figure emblématique des Légionnaires - Parachutistes,
Hélie de SAINT MARC est titulaire de treize titres de guerre
; Commandeur de la Légion d'Honneur (novembre 1978) ; Grand
Officier de la Légion d'Honneur (mars 2003).
Allocution du Général
E.R. Guignon.
Mon Commandant,
Comme la plupart de ceux qui vous entourent aujourd'hui, j'ai
lu vos oeuvres complètes ; je les ai lus avec intérêt,
avec émotion, avec passion, parfois la rage au ventre...
Mais ce n'est pas faire injure à l'écrivain que
vous êtes que de dire qu'en lisant les pages de cette ample
tragédie, que vous avez décrite et expliquée
avec talent, on a rarement envie de sourire.
-Pourtant il m'est arrivé de rire au moins une fois en
vous lisant, c'est lorsque vous parlez des Anciens. Dans "
Les champs de braise ", lorsque vous parlez des anciens,
vous écrivez à leur sujet : "quel romancier
pourrait écrire l'histoire de ces vieux messieurs déplumés,
tassés par les ans, accompagnés de dames dignes
".
La première fois que j'ai lu ces lignes, il y a relativement
longtemps, j'étais encore en activité, bien sûr
je n'étais plus un jeune coq, encore moins un poulet de
l'année, mais j'avais l'illusion du plumage que confère
l'uniforme et j'ai rigolé bon coeur en disant :
"Voilà des copains qui sont bien habillés
pour l'hiver. "
II y a quelques jours, lorsque j'ai relu ce passage, j'ai souri
à nouveau... mais un peu plus jaune celle fois, car j'ai
mesuré que le temps avait fait son oeuvre et que j'avais
rejoint, moi aussi.-la
corporation des déplumés Me voici donc, déplumé
parmi d'autres, au milieu de tous ces braves à trois poils!
tous ces braves à trois poils...ou trois plumes...et en
quelque sorte mandaté par eux pour faire résonner
le tam-tam de la tribu, pour exprimer notre admiration, notre
attachement, notre fidélité a celui d'entre nous
qui, homme de plume mais surtout homme de guerre et par dessus
tout homme d'honneur est, de toute façon, plume ou pas
plume, le grand Sachem de notre clan. Ceci posé, même
si je l'ai fait sur un ton volontairement badin, c'est a dessein
que j'ai voulu débuter mon propos par une référence
aux Anciens et, si vous le permettez mon Commandant, c'est d'abord
à eux que je voudrais m'adresser, peut-être un peu
plus sérieusement.
Mes Anciens, je n'ignore pas que beaucoup, parmi vous, par leur
âge, leur ancienneté, leurs campagnes, leur passé
militaire, leurs titres de gloire, seraient autant et même
plus dignes que moi de remettre aujourd'hui celle plaque de Grand
Officier de la Légion d'Honneur au Commandant de Saint-Marc.Le
destin en a décidé autrement... mais étant
désormais, au milieu de vous, un Ancien parmi d'autres,
je tiens a dire solennellement avant toute chose que c'est en
votre nom, les Anciens,.que j'aj officié aujourd'hui.
Durant toute ma vie militaire je me suis efforcé de rester
fidèle au lieutenant du 1" REP que j'étais.
Mon Commandant, aujourd'hui, c'est un lieu-tenant du 1 "'
REP qui, au milieu de ses Pairs, s'adresse à vous. Ce qui
me permet d'ailleurs de renouer avec les traditions d'impertinence
qui caractérisaient les lieutenants de ce régiment.
Que de fois, insolents et goguenards, avons nous repris cette
formule qui faisait florès dans nos popotes : "Dans
l'Année, on est toujours récompensé en la
personne de ses chefs ."
Et bien oui ! Mon Commandant, aujourd'hui nous pouvons dire avec
la plus grande conviction, et pour une fois sérieusement
:
cette récompense, votre récompense, c'est aussi
notre récompense. C'est notre récompense, car elle
vous a été attribuée au titre de la guerre
d'Algérie le journal officiel du 30 novembre dernier le
stipule clairement. Et ce point, capital à nos yeux, prend
un relief particulier, pour vous bien entendu, mais aussi pour
tous ceux d'entre nous qui ont vécu le drame algérien.
Bien sûr, on pourrait épiloguer sur l'étrangeté
d'une époque où les mêmes causes peuvent vous
embastiller pendant 7 ans et vous élever ensuite parmi
les dignitaires du Pays... Je ne sombrerai pas dans cette sorte
de délectation morose mais je voudrais quand même,
aujourd'hui, rappeler quelques faits d'histoire qu'on s'est efforcé
d'occulter pendant quarante années.
II y a un peu plus de quarante ans, après huit années
de guerre où nos deux REP avaient porté et supporté
les coups les plus rudes, la France, qui avait remportés
sur le terrain une victoire militaire indiscutable, abandonnait
l'Algérie dans les pires conditions qui soient, jetant
sur les quais de l'exode un million de pieds noir,
livrant aux exactions du FLN des centaines de milliers de musulmans
qui lui avaient été fidèles : anciens combattants,
harkis, tirailleurs, moghaznis, massacrés, égorgés,
éventrés, ébouillantés, émasculés,
pour avoir servi la France.
Avant que ne se produise l'irrémédiable, quelques
hommes d'honneur se sont dressés pour crier leur désarroi,
leur refus du parjure, leur fidélité aux engagements
du pays.
Vous étiez l'un deux, vous étiez notre chef le
1° REP vous a suivi comme un seul homme. Vous avez perdu,
vous avez assumé seul l'entière responsabilité
de vos actes, préservant ainsi, votre honneur et également
la liberté de vos officiers.
Ce faisant vous avez payé le prix fort. Ce faisant, vous
avez enduré plus que tout autre l'injustice des hommes,
la calomnie des scribes, la veulerie des notables, la trahison
des clercs.
En évoquant ces heures douloureuses, je ne veux pas rouvrir
des polémiques ou raviver des plaies mais quand même,
on ne peut oublier que, pendant des années, selon votre
expression, les vainqueurs du moment ont imposé leur vérité
sans craindre les outrances.
Comment oublier en effet ces régiments couverts de gloire
dissous d'un trait de plume ? Ces officiers arrêtés,
interrogés sans ménagement, mutés et dispersés
sans préavis aux quatre coins de l'hexagone ? Ces carrières
brisées sur simple dénonciation ? L'unité
de l'Armée malmenée ?
Comment oublier ces articles à sens unique, présentant
l'élite de l'Armée française comme une ramassis
de tortionnaires sans foi ni loi ?
Comment oublier même ces brimades stupides et mesquines
qui avaient cours dans les années 60 : défense pour
les parachutistes de porter leur tenue camouflée, refus
de faire défiler la Légion Etrangère sur
les Champs-Elysées pour la fête nationale. Comme
souvent hélas en pareil cas, la surenchère des médiocres
contribuait à mettre au ban de la Nation ceux de ses fils
qui s'étaient le plus battu pour elle.
Et bien, la distinction qui vous honore aujourd'hui, pour tardive
qu'elle soit, marque je crois,la volonté de la République
Française, dans un souci louable de réconciliation
de tirer définitivement un trait sur cette période
lamentable de son histoire.
Pour ceux qui ont été vos soldats, pour ceux qui
ont souffert pour vous et avec vous, cette distinction marque,
nous l'espérons, la fin du sectarisme, de l'ostracisme,
de l'esprit partisan qui ont pré-valu pendant tant d'années.
Voilà pourquoi, je le disais au début, la Dignité
qui vous est conférée aujourd'hui est aussi la Dignité
de tous ceux qui vous ont été fidèles.
Et puisque j'ai l'insigne privilège de m'exprimer en leur
nom, permettez-moi, mon Commandant d'élargir le cercle
des Anciens dont je parlais à l'instant et, en vous accueillant
parmi les dignitaires de l'ordre, d'y accueillir aussi tous ceux
qui, pendant vingt ans, ont été vos compagnons de
route sur les chemins de l'Honneur.
C'est pourquoi, en vous recevant aujourd'hui, j'accueille aussi
vos camarades résistants du réseau Jade Amicol avec
qui, à peine sorti de l'adolescence, vous avez fait vos
premières armes contre l'occupant nazi.
J'accueille ce mineur letton anonyme, votre cama-rade de déportation,
qui, dans le tunnel de Langenstein vous a aidé à
survivre en partageant
avec vous le fruit de ses rapines. J'accueille tous les preux
d'Indochine au côté desquels vous vous êtes
battu :
Raffali, Hamacek Lecoeur bien sûr ; mais aussi l'Adjudant
Bonnin et ses seize citations, mort sur la route d'Hoa-Binh ;
mais aussi l'Adjudant Tang et vols, partisans de Ta lung ; mais
aussi vos para-
chutistes vietnamiens de la 2e CIPLE, ceux de Nghia Loh et de
Na Sain....
J'accueille Klimovitz et Lombardero.
J'accueille ces Anciens du Frente Popular, de la Wechmacht, ces
rescapés de Budapest, ces exilés du rideau de fer,
tous ces hommes sans nom qui sont venus des quatre coins du monde
se battre avec nous dans les rangs des BEP et des REP. Ils vous
ont suivi jusqu'au bout ; qu'ils reçoivent aujourd'hui
avec vous l'hommage qu'ils méritent.
Et pour clore la longue théorie de ceux qui ont lutté
et souffert avec vous, je rappellerai cet épisode tragique
de la guerre d'Algérie que vous cjtez dans les " champs
de braise " et que j'ai relu, il y a peu, le coeur serré.
A'Mostaganem le FLN avait, à neuf reprises, assassiné
le porte drapeau des Anciens Combattants musulmans... Dix fois
un volontaire s'est levé pour prendre la place.
En cette année 2003 qui est, paraît-il, l'année
de l'Algérie, personne, je le crains, n'évoquera
la mémoire de ces dix braves. El bien nous. Légionnaires
accueillons les parmi nous, qu'ils viennent rejoindre notre confrérie,
qu'ils soient
élevés avec vous à la dignité suprême,
ils sont de notre trempe, ils sont de notre sang, à eux
seuls, mon Commandant, ils expliquent votre engage-ment. Honneur
à eux ! Honneur à vous qui les avez compris et défendus
!
Mon Commandant, ce retour sur le passé m'a rendu plus
sérieux et plus grave que je ne l'aurais souhaité,
alors que cette journée, qui est une réunion de
famille est avant tout un moment de fierté et de grande
joie. C'est pourquoi, en terminant, je voudrais nous ramener vers
la joie. Et je le ferai en m'adressant à Manette qu"
l'a, si sou-vent, incarnée pour vous.
Dans votre oeuvre littéraire, qui retrace votre par-cours,
les femmes en général et Manette en particulier
représentent toujours ce rayon de soleil qui éclaire
et illumine les pages les plus sombres. Sur Manette vous avez
écrit des lignes merveilleuses, et pleines de poésie
Je n'en citerai qu'une mais elle les résume toutes et pourrait
être le dernier vers d'un beau poème d'amour.
De Manette vous dîtes en effet : " Elle a toujours
gardé dans la tourmente son bel habit de gaieté.
" Et bien sur ce bel habit là, je voudrais épingler
aussi la décoration que je vous ai remise aujourd'hui,
tant Manette mérite de la partager avec vous. En tout cas,
et ce sera mon dernier geste, au nom de toute cette assemblée,
je donnerai a Manette l'accolade symbolique des membres de l'ordre
qui sera le témoignage de l'admiration et de l'affection
fidèle que tous tous, ici, nous lui portons.
ALLOCUTION
PRONONCÉE PAR LE COMMANDANT (ER) HELIE DENOIX DE SAINT
MARC
Mes amis,
je
salue tous les anciens qui sont ici. Les absents aussi qui nous
ont envoyé un mot d'amitié...
Ceux
qui nous ont quittés mais dont nous devinons la présence
impalpable et mystérieuse :
le Colonel JEANPIERRE, le Commandant RAFPALLI, le Général
CAILLAUD et le Commandant MORIN, CABIRO, HAMACEK et tant d'autres,..
Merci
de tout coeur à tous ceux qui ont permis et organisé
cette cérémonie et cette rencontre.. Je suis heureux
et fier d'avoir été décoré dans une
enceinte de la Légion Etrangère, cette Légion
Etrangère où j'ai connu les heures les plus passionnées,
passionnantes, fulgurantes et exaltantes de mon existence. Je
suis heureux et fier d'avoir été décoré
en même temps que le sergent DELACOMBAZ, l'un de ces sous-officiers
que nous avons appris à apprécier, à respecter,
à admirer et qui forment l'armature d'acier de nos unités.
J'ai
été heureux et fier d'avoir été décoré
en même temps que le Caporal Andreï VIAKHIREV jeune
héros, blessé grièvement il y a quelques
semaines en Côte d'Ivoire. Le Caporal VIAKHIREV personnalise
cette Légion d'aujourd'hui, digne de l'ancienne, et qui
vient de s'illustrer avec éclat récemment en Afrique.
Honneur
au 2°REP, honneur à son Colonel, honneur à son
drapeau qui ont bien voulu nous rejoindre ce soir.
Je
suis heureux et fier d'avoir été décoré
par le Général GUIGNON, haute et noble figure de
notre armée, que j'ai connu jeune Lieutenant au 1°
REP et qui m'a accueilli fraternellement alors qu'il commandait
le 2° REP à Calvi et que je sortais de prison.
Je
suis donc heureux et fier, mais aussi quelque part confus et gêné...
Pourquoi ? Parce que, en recevant cette décoration, j'ai
pensé aux cama-rades de tous mes combats qui n'ont pas
toujours été honoré et récompensé
comme ils le méritaient. Alors c'est à eux que je
voudrais dédier, offrir; donner cette décoration
que j'ai reçue ce soir. Je pense à mes camarades
de la Résistance et de la Déportation, à
mes frères d'armes de l'Indochine et de l'Algérie,
à mes compagnons des heures cru-elles d'Avril 61, à
mes compagnons de détention.
Je
pense à tous ceux qui sont tombés au combat, à
l'Adjudant BONNIN, au Sergent Chef KLIMOVITCH, au Légionnaire
EGGERL, frappé en plein coeur, à quelques centimètres
de moi ...
Oui,
c'est à tous ces camarades, à tous ces frères
d'armes, à tous ces compagnons que je pense ce soir. Compagnons,
j'ai voulu parler de ces choses, Et dire en quatre mots pourquoi
je vous aimais :
Lorsque l'oubli se creuse au long des
tombes closes,
Je veillerais du moins et n'oublierai jamais;
Si parfois dans la jungle ou le tigre vous frôle'
Et que n'ébranle plus le recul du canon
II vous semble qu'un doigt
se pose à votre épaule,
Si vous croyez entendre appeler votre nom
Soldats qui reposez sous la terre lointaine,
El dont le sang versé me laisse des remords,
Dites-vous simplement : " C'est notre capitaine
Qui se souvient de nous...
et qui compte ses Morts".
Vous
avez reconnu la fin du poème du Capitaine de BORELLI tué
au combat.
Parfois certains de mes vieux amis me reprochent de trop évoquer
le passé.
Si je parle du passé, ce n'est pas par nostalgie au passéisme
mais par respect pour le présent et l'avenir. Car le passé
éclaire le présent qui tient en lui-même l'essentiel
de l'avenir. Dans la suite des temps et la succession des hommes,
il n'y a pas d'acte isolé, de destin isolé. Tout
se tient. Il faut croire à la force du passé, au
poids des morts, au rang et à la mémoire des hommes
; que serait un homme sans mémoire, il marcherait dans
la nuit ; que serait un peuple sans mémoire, il n'aurait
pas d'avenir, et les hommes de l'avenir, ceux qui forgeront l'avenir
seront ceux qui auront la plus vaste mémoire.
En
terminant, je voudrais livrer à votre réflexion
une citation d'un auteur contemporain. Je vous la livre en hommage
à la Légion d'aujourd'hui, à la Légion
de demain, en hommage a notre pays, a son destin futur, sans doute
difficile, en ce début de siècle plein de tumultes
de fureur; et d'inquiétudes.
Voici
donc cette citation :
" Ami, pour hier, il est trop tard. Il est toujours trop
tard. Mais pour demain il n'est pas trop tard, il n'est jamais
trop tard. Demain reste à faire et ton salut se trouve
au bout de la journée de demain. Cela s'appelle l'Espérance...
"
J'en
ai terminé
Je vous remercie tous.
Avec votre permission, mon Général, nous allons
chanter les chants des 1°` et 2` REP.
C'est
par une longue salve d'applaudissements que toute l'assemblée
exprimait aux deux orateurs, leurs anciens chefs, l'émotion
ressentie à l'écoute de leurs évocations
d'un passé aux moments parfois éprouvants, mais
toujours glorieux.
de tous nos morts, sonnerie, les regards au loin, silence, les
rangs resserrés..