Il
est des Noëls de paix
(chapitre
27)
Bas-Fort Saint-Nicolas. Marseille
On
y trouve des copains d'partout
Yen a de Vienne, y en a de Montretout
Pas ordinaires
Des aristos et des marlous
Qui se sont donnés rendez-vous
Aux Légionnaires
Y a des avocats, des médecins
Des juges , des marquis, des roussins
D'anciens notaires
Même des curés qui sans façons
Baptisent le Bon Dieu d'sacrés noms Aux Légionnaires
(Chant de Tradition)
....Mon
premier Noël eut lieu au Fort Saint-Nicolas à Marseille, une dizaine
de jours après mon engagement. Triste Noël. Je ne suis pas encore
Légionnaire et je n’ai pas encore définitivement quitté dans ma
tête le monde civil. Je me remémore mes Noëls de gosse, d’enfant
privilégié, et les ruses que nous déployons mes frères et moi pour
découvrir nos cadeaux...
La réalité qui m’est tombée dessus depuis quelques jours est tout
autre et je me rends compte à quel point depuis quelques mois j’ai
dévalé la pente....
Nos effets vestimentaires ont changé. A la place de la redingote
et du mauvais treillis, la Légion nous a habillés de pied en cap
d’un survêtement et de chaussures de sport verts commun a tous les
légionnaires. le seul problème, c’est que ceci coûte cher et que
nous devrons les rembourser lors de notre paye. Comme celle-ci est
de 9o Frs par mois il faudra plusieurs mois avant de l'amortir.
En attendant ils nous ont refilé des bouts de carton frappés d’un
tampon sec sensé représenter de la menue monnaie. "les bons
de la semeuse"
Il faisait froid dans la cour du Bas fort Saint Nicolas et le vent
balayait les remparts à tel point que nous ne pouvions nous y réfugier.
L’ordinaire était en pleine effervescence pour cette veillée de
noël et les corvées étant nombreuses nous faisions tout pour les
éviter. En fonction de quoi nous traînions dans la cour en faisant
semblant d’être occupés. notre principal travail était de suivre
les sous-officiers qui fumaient en attendant patiemment qu’ils jettent
par terre leur mégot. Le mégot à terre, nous nous précipitions alors,
pour fumer quelques bouffées dans un quelconque recoin. Le geste
que connaissent tous les taulards du monde entier.
Radovanovic et moi nous étions portés volontaires pour participer
a la chorale, cela nous donnait la possibilité d’être ainsi à l’abri
dans une salle au lieu d’être, dans la cour ballottée par le vent.
Depuis plusieurs jours nous apprenions en Allemand les chants légionnaires
qui animeraient cette veillée de Noël. Au mot à mot, nous faisions
nos premiers pas, dans la belle langue de Goethe en apprenant par
cœur les paroles tout en ne comprenant pas le sens des mots, que
je ne connais toujours pas trente ans après.
O
Tannenbaum, O Tannenbaum,
Wie grûe Sind deine Blaaetter
Du grûnst nicht nur zur Sommerzeit
Nein auch im Winter,wenn es schneit
O Tannenbaum, O Tannenbaum, wie grûn sind deine Blaeter
Chant de tradition
Au
fur et a mesure que la journée s’achevait et que nous approchions
de la veillée de Noël la tristesse et les remords tardifs s’emparaient
de moi et je mesurais l’inconscience et le gâchis qui m’avaient
amené dans cette situation.
Le
corps le cœur glacés
Solitaires en fuite.
En pays étranger.
Sans pain ni gîte.
Messe de minuit.
Douceur feutrée.
De ce beau tapis.
De cette neige tombée.
Minuit
chrétien.
Tous chantent.
Se resserrent les liens.
C’est l’amour, c’est l’entente.
Dim Dam Dom...
C’était mon Noël d’enfant....
Une
énorme crèche avait été confectionnée comme il est de tradition
a la légion. Quel que soit le continent où l’on se trouve, même
le poste le plus isolé, la tradition veut que quelles que soient
les circonstances la crèche soit construite, avec les moyens du
bord, crèches savamment élaborées pour ceux qui avaient la chance
de servir dans de bonnes conditions, crèches hâtives construites
rudimentairement pour les postes les plus isolés, aux quatre coins
du monde, la tradition l’emportait toujours quelles que soient les
circonstances.
Concours
de crèches,
À qui mieux mieux.
L’enfant... l’âne... on retouche.
Conseille le juteux....
L’atmosphère
lourde et pesante qui pesait sur le Bas Fort Saint Nicolas scintillant
sous le vent le froid et l’humidité s’était un peu détendue a l’heure
du repas. Pour une fois nous avions dîné correctement avec des dindes
congelées depuis une dizaine d’années, du vin de la bière, et quelques
gâteaux secs.
Comme la tradition l’exigeait, les officiers étaient avec nous,
délaissant leur famille, près de leurs hommes. Belle image d’abnégation
et de don de soi, de ces officiers entièrement chevillés, a leurs
hommes. Leur Noël familial était reporté au surlendemain, les légionnaires
passant avant leur propre famille, et ce depuis la création de la
légion.
Sous le coup de minuit la chorale s’était rassemblée nous nous étions
mis a chanter a pleins poumons pour évacuer notre peine et notre
détresse.
Stille
Nacht,Heilige Nacht
Alles schlaeft,eisam wacht
Nur das traute ,hochheilige Paar
Holder Knabe in lockigem Haar
Schlafe in himmlischer Ruh
(chant de tradition)
Religieusement
et avec beaucoup d’émotion nous pensions a ces noëls de guerre dans
un poste isolé en Indochine, au Centre Annam au Tonkin, sur la R.C.4
en Algérie dans les djebels de la Kabylie ou dans les Aurès, la
tradition se perpétuait dans cette petite cour du Bas Fort Saint
Nicolas, et je pensais que ce premier Noël serait peut-être le plus
supportable et qu’a mon tour je devrais moi aussi passer ces fêtes
dans des circonstances difficiles......
Etrange imbrication que celle du légionnaire de base entièrement
dévoué a son chef et de l'officier légion dont toute la carrière
dépendra du dévouement de ses légionnaires.
Comme dans leur propre famille les légionnaires reçurent leur cadeau
des mains des officiers. Je reçus une radio et Radovanovic une montre
de plongée. Le cadeau de Rado ne lui plaisait pas, il était attiré
par ma radio.
- Toi échanger radio contre montre a moi
- Si cela peut te faire plaisir
- toi meilleur pote a moi Rosi, moi avoir depuis longtemps.
Radovanovic était ravi de sa radio, et s’enfuyait déjà vers les
remparts pour écouter sa langue maternelle sur radio ZAGREB. Sans
doute sa condition modeste dans le civil en Yougolavie ne lui avait
elle jamais permis de posséder une radio, et ce présent devait être
le plus beau cadeau qu’il eut jamais reçu depuis de nombreuses années.
A l’appel qui précédait la messe, Rado revint et se joignit a moi
pour la messe et la chorale dont nous faisions partie.
Peppone un Italien donna le ton et les chants s’élevèrent a nouveau,
pendant que le prêtre officiait
Dolce
notte,santa notte
Tutto dorme fuori
La coppia santa veglia
Sul bambino che dorme
Il bambino é nato
Il christo é venuto
(Chant de tradition)
La
messe se déroulait dans une émotion certaine qui se lisait sur tous
les visages Catholiques Musulmans, Bouddhistes, Juifs et Protestants,
entonnaient a pleins poumons les chants que nous avions appris dans
toutes les langues, du monde, pour évacuer notre stress et notre
solitude. Chants appris par cœur, au mot a mot dans une langue étrangère
a la leur, dont ils ne comprenaient pas la signification. Le creuset
qui devait nous unir, et effacer nos différences avait commencé
a fonctionner, sans que nous nous en rendions vraiment compte.
A l’occasion de ces fêtes de Noël, et de la naissance du Christ
une deuxième naissance était apparue chez tous ces coureurs d’aventure,
qui avaient passé maintes et maintes frontières pour atterrir a
la Légion Etrangère. En quelques minutes nous nous étions dépouillés
de nos identités civiles, de nos errements et de nos souvenirs,
pour faire place a une nouvelle identité matérialisée par un simple
matricule et un début de cohésion qui devaient pendant de longues
années nous aider a supporter les pires difficultés, sans distinction
de race, de couleur de peau de nationalité, pour la pérennité de
la légion étrangère et la fidélité a la parole donnée.
Des hommes nouveaux venaient de naître.......
C’était mon Noël de paix !
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