Fernande.
Ancienne taulière" du Bordel du REP.
"La
routine" - décès du Légionnaire Mirko Dribar “mort pour la France"
au Tchad le 23 octobre 1970
- décès du légionnaire Varga de la CAE le 21 août 1970
- décès du légionnaire Menant Manfred le 28 Mai 1970
- décès du caporal Papovitch le 5 juin 1970 J'ai erré pendant deux jours dans le centre de Marseille,
entre l'Opéra, et les quartiers Arabes de la Rue Tubaneau et du
Cours Belsunce. Désemparé, car je n'ai jamais auparavant réfléchi a la vie
civile, comme la plupart de mes camarades. Nous nous retrouvons
dans un autre monde que nous avons quitté il y a longtemps, c'est
comme si nous ne l'avions jamais connu.
La rupture est trop brutale.
Les quartiers Arabes nous attirent, c'est peut être la ou nous nous
sentons le mieux.
4 années en Algérie, le reste au Tchad, la cassure est profonde.
J'ouvre des yeux écarquillés, sur Marseille .
Je ne suis pas seul nous sommes nombreux a nous rencontrer. Nous
nous connaissons, ou pas, les anciens Légionnaires, mais nous nous
reconnaissons toujours, au pas a la démarche a je ne sais trop quoi,
qui fait que nous nous ressemblons tous même avec des habits civils.
Ces habits civils je m'y sens mal, j'ai trop longtemps vécu en treillis
camouflé, et en rangers.
Mes chaussures me font mal.
La 1ere nuit j'ai couché sur un banc, de la canebière pour ne pas
engloutir mes économies 7OO Francs
J'ai acheté un demi-poulet dans une des nombreuses petites baraques
a frites qui longent l'avenue, et je l'ai découpé avec mon poignard
de combat, que j'ai conservé.
La circulation étant trop importante pour pouvoir dormir je me suis
déplacé vers minuit sur le vieux port, et la j'ai passé la nuit
sur des cordages, mais le sommeil n'est pas venu j'ai passé une
nuit blanche jusqu'a 10 Heures du matin, ou les flics sont venus
me demander mes papiers
• tu es sorti quand me dit l'adjudant du car de Police.
• hier
• Si tu as faim, va manger au Fort Saint Nicolas, a la Légion, ils
te donneront a manger.
Curieusement je me rappelle lors de mon engagement il y a bien longtemps
les clodos Anciens Légionnaires, qui stationnaient devant le Bas
Fort Saint Nicolas.
• Si tu as froid la nuit vient renverser quelques poubelles devant
l'Evêché (commissariat de Police), on te "mettra a l'abri"
pour tapage nocturne, et tu partiras le lendemain.
• Je vous remercie.
• Bonne chance petit.... La deuxième nuit alors que je cherchais un endroit pour dormir,
je repérais le café Cintra, sur le vieux port.
La terrasse étant très importante, les chaises en osier n'étaient
pas rentrées.J e me disais qu'avec deux chaises je pourrai me bricoler
un lit sans gêner personne, quand un gardien m'apostropha
• eh clodo dégage avant que je te vire a grands coups de pied dans
le cul.
Le gardien s'approcha de moi, me détailla, et me dit.
• Tu ne sortirai pas du "ballon" ou de l'armée.
• de l'armée
• d'ou ?
• LEGION Etrangêre, 2ème REP.
• Manuel, ancien caporal-chef, du 3em Régiment Etranger d'Infanterie.
• Rosi
• Viens a l'intérieur Rosi on va boire un godet.
Du vin il y en avait a l'intérieur, au tonneau, on s'est pris une
bonne cuite. Slavitch avait un transistor-cassette, et l'on s'est
passé de la musique, le Boudin, Eugénie, le chant du 2eme REP, le
Grand Atlas, en Algérie, y a des cailloux sur toutes les routes.....
• tu sais que Fernande la mère maquerelle du 2eme Rep a acheté un
Hôtel derrière le vieux port?
• Tu devrais aller la voir demain c'est elle qui m'a trouvé ce boulot,
de gardiennage, la nuit
• J'irai la voir demain.
Je suis couché sur une banquette de moleskine au Cintra, et je repense
a vous, Faust, Radovanovic, Muller, Corenti, Slavitch Aphner, Gonzalez,
ma deuxième section. Pendant des années, tous les soirs je reprendrai
le camion avec vous sur les pistes du Tchad, dans la montagne a
Bou-Sfer, dans le maquis a Calvi. Les camions marchent toujours
aussi mal, les radios ne reçoivent rien, la bouffe est toujours
aussi rare, l'eau est toujours absente.
Je nous revoie dans les Dakotas, les Nord Atlas, entassés comme
des sardines, de jour comme de nuit, attendant le signal vert, puis
le rouge, la vérification d'SOA,puis la porte que l'on enlève, le
vent qui s'engouffre les visages tendus, les cris des largueurs,
et puis cette course effrénée, vers la porte de l'avion, le choc
du parachute a l'ouverture, et ces moments de silence qui précédaient
l'atterrissage.
Je pense a vous lorsque les hélicos fondaient sur les villages dans
une sarabande infernale. J'ai encore le bruit des palmes d'hélicos
dans la tête, pendant notre transport, apportant les vivres, nous
évacuant sur F.Lamy en catastrophe, nous envoyant un appui feu dans
les moments difficiles.
En m'endormant, 33 ans après, les pales des hélicos tournent toujours,
a jamais j'aurai ce bruit dans la tête, toujours annonciateur, d'un
emmerdement........, les odeurs d'huile brûlée, la chaleur qui règne
dans la carlingue, notre tristesse, ou nos fou-rires. Ces instants
ou de retour d'opérations vers Mongo nous ouvrions ensemble une
boite de sardines, pour tout repas, ou nous partagions nos bidons
d'eau.....
Toutes ces années passé ensemble....
Comme j'ai besoin de vous maintenant, comme vous me manquez.
Sergent Ackermann, caporal Faust je ne vous entends plus gueuler,
votre silence me gêne
La deuxième section, c'était quelque chose...
Le lendemain je me suis rendu dans une petite rue sordide, derrière
le vieux port.
Je suis rentré. Un arabe, était dans ce que l'on peut appeler la
reception. C'etait pas le grand luxe, mais l'hôtel était important.
• Je voudrais voir Fernande
• De la part de qui.
• Un ami
• Fernande hurla t-il tu as un ami qui veut te parler
Je descends
Les pas de Fernande résonnaient dans les escaliers. Elle apparut
semblable au personnage que j'avais toujours connu, la Gauloise
au bec, avec un foulard ridicule autour de la tête, sans doute était
elle en train de faire le ménage.
• On s'est esclaffé de rire.
• Rosi, quelle joie qu'est ce que tu fous ici... monte en haut boire
une bière.
Nous sommes restés longtemps a égrener les souvenirs, elle était
au courant de tout, avait des nouvelles de tout le monde, même de
ceux qui résidaient en Allemagne ou a l'étranger.
• Tu as de quoi dormir, du boulot, du fric, tu veux te laver ?
Ces deux jours ont mis a mal ma Lacoste et mon jean et je ressemble
un peu a un clodo.
Suzanne m'indique les douches a l'étage, ramasse mes affaires, appelle
l'Arabe, lui demande de mettre tout ça au sale, me tend une serviette,
et commence a appeler au tel pour me trouver du boulot.
Je me retrouve en train d'écluser avec Fernande, une serviette
de bain ridicule autour des reins, torse nu.
C'est pas facile personne n'a besoin de quelqu'un surtout quand
il n'est qualifié en rien.
• je vais employer les grands moyens, tu vas voir je vais te sortir
de là.
Elle appelle le Méditerranée, dont le patron est Mémé Guerrini,
patron de tous les claques de Marseille. Passez moi Mr X....., c'est
le comptable de Mémé
• c'est Fernande, j'en ai encore un qui vient d'arriver, tu peux
faire quelque chose?
• il présente bien?
• quand il sera un peu plus propre et reposé, oui.
• Dis lui de se présenter demain matin de ma part au "Gardian"
sur le vieux port le restaurant qui fait l'angle, le patron ne peut
rien me refuser, mais arrête un peu je ne suis pas une agence de
placement-
• je te remercie, mais tu sais les petits, il faut bien leur donner
un petit coup de main....
• Maintenant que tu as du boulot, je vais te montrer ta chambre,
tu me paiera a la fin du mois si tu peux, te casse pas la tête Rosi,
tu es sur la bonne voie. A toi de jouer...... Le Gardian est
une des plus gros restaurant de Marseille, tu devrais pouvoir faire
ton beurre, et en plus tu seras payé de la main a la main a la journée,
comme ça si "tu fais le con", comme tu fais d'habitude
.... tu pourras toujours te rattraper le lendemain.
• Merci pour tout Fernande-
• y a pas de quoi petit, descend a l'heure du repas j'ai de l'aïoli
qui mijote.
Notre bonne vieille mère maquerelle ne nous a jamais laissé
tomber.....
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