dans
les endroits les plus déshérités de l'Algérie
, pour défendre la liberté de ces arpents de djebel
avec les gens de ce pays .C'est un aspect capital de l'histoire
de la guerre d'Algérie et d'autant plus émouvant
lorsque on sait ce qui s'est passé ensuite: une armée
victorieuse qui a désarmé ses hommes et les a renvoyés
dans leur villages d'origine ou ils ont été assassinés
par l'ennemi qu'ils avaient défaits

La cruauté des méthodes du FLN a-t-elle pu conduire
l'armée Française à employer des méthodes
d'une exceptionnelle dureté ?
Cela a pu avoir une certaine influence sur la dureté de
la répression. On ne peut juger le comportement de soldats
sur le terrain lorsqu'on ne sait pas ce que c'est que c'est que
de retrouver des camarades prisonniers, égorgés
,ou émasculés, de se porter en catastrophe sur le
lieu d'un attentat pour y trouver des hommes , des femmes et des
enfants déchiquetés.
Peut-on
parler d'un usage généralisé de la torture
?
Certainement
pas. L'armée a reçu, à son corps défendant
, une mission de police qui n'aurait jamais dû être
la si tant de là, il est possible que certains officiers
aient profitant de l'impunité que leur assurait l'immensité
du territoire algérien , abusé de leurs pouvoirs
.
Pour
autant je ne crois pas que l'on puisse dire que ces méthodes
aient été institutionalisées. Les unités
avaient beaucoup d'autonomie , et les pratiques ont dû varier
en fonction des chefs de corps ou des commandants de compagnie
, voire des chefs de section qui ont été souvent
obligés de déterminer la conduite a tenir vis a
vis d'une populations au sein de laquelle s'étaient réfugiés
ceux qui la veille , avaient sauvagement assassiné leurs
hommes .
Comment
fixer la limite entre l'acte de guerre légitime et celui
qui ne l'est pas ?
S'il
y avait un manuel d'action sur un sujet aussi complexe , ça
se saurait et il serait distribué partout . Dans la pratique
il est extrêmemement difficile de se déterminer parce-que
cela touche une question fondamentale : peut-on employer le mal
pour éviter le pire ? . tout homme est amené un
jour a se poser une telle question , même dans la vie civile
.
Pendant
la la guerre elle se pose
quotidiennement aux officiers et aux sous-officiers engagés
dans l'action. Lorsque vous arrivez devant un village d'où
l'on tire sur votre unité, et que vous déclenchez
un bombardement d'artillerie, vous savez que votre demande va
provoquer la mort de femmes et d'enfants innocents, car les obus
ne frappent pas les seuls combattants. Il est certain que, pendant
la guerre d'Algérie, de jeunes officiers se sont retrouvés
seuls maîtres après Dieu sur leur territoire. Confrontés
à la barbarie et aux crimes de leurs adversaires, ils n'avaient
que leur conscience pour guide : ils ne pouvaient rendre compte
et demander des instructions avant d'agir. Ils ont parfois brûlé
un village, emprisonné les hommes, fusillé des otages
: c'était employer le mal, sous la forme de méthodes
condamnables, pour éviter une escalade. Le même cas
de conscience ne cesse de se poser, dans toute guerre moderne,
jusqu'aux échelons les plus élevés : moi
qui suis un ancien déporté de Buchenwald, si je
puis vous parler aujourd'hui, si je suis en vie, puisque j'ai
été libéré « subclaquant »,
c'est qu'un jour, le commandement allié a décidé
de déclencher des bombardements aveugles sur les villes
allemandes comme Dresde et Hambourg.
Des femmes et des enfants, des hommes innocents sont morts dans
des conditions effroyables parce que nos chefs ont estimé
que c'était nécessaire pour écourter la guerre.
A Hiroshima, à Nagasaki, on a tué, crucifié
des centaines de milliers d'innocents : le mal a été
employé parce que le commandement allié a estimé
que c'était indispensable pour éviter le pire.
Ce
cas de conscience a été au coeur de la bataille
d'Alger, que vous avez vécue comme chef de cabinet du général
Massu...
La bataille d'Alger intervient après la campagne de Suez,
qui a été, encore une fois, une victoire militaire
suivie d'une défaite diplomatique, ce qui n'a pas manqué
de peser sur le moral de l'armée.
Nous avions combattu, remporté une bataille qui n'était
pas gagnée d'avance (on a dit depuis que c'était
facile : on ne le savait pas la veille), et cela avait débouché
sur une défaite qui, magnifiée par la propagande
de Nasser, avait donné, en Algérie, un nouveau souffle
à la rébellion.
Le FLN a décidé de profiter d'une session de l'Onu
qui devait réexaminer l'affaire algérienne pour
frapper un grand coup, en décrétant une grève
générale à Alger et en lançant le
mot d'ordre de l'intensification de l'action terroriste.
Le général Massu a été convoqué
par le résident général, Robert Lacoste.
Constatant l'impuissance de la police et son incapacité
à maintenir l'ordre à Alger, celui-ci lui a confié
tous les pouvoirs de police en lui demandant de déployer
dans la ville sa division. Le général Massu n'était
pas d'accord avec cette initiative. Il l'a dit au ministre et
lui a demandé un ordre écrit qui lui donnait mission
d'éradiquer le terrorisme, en précisant, me semble-t-il,
«
par tous les moyens ».
Obligé
d'obéir a son corps défendant , Massu a divisé
Alger en sept secteurs , et fait occuper chacun d'entre eux par
un régiment .On a arrêté des gens, on a remonté
des filières, et, en quelques mois, le terrorisme a été
vaincu.
Il est indiscutable qu'ont alors été employées
des méthodes que la morale réprouve et que, dans
le calme d'une ville en paix, je réprouve moi aussi.
Je n'ai pas eu, personnellement, à me salir les mains,
mais je ne m'en glorifie pas du tout.

Il
me semble, en effet, que tout, en la matière, a été
dit par Saint-Exupéry lorsqu'il a écrit :
«
Puisque je suis l'un d'eux, je ne renierai jamais les miens, quoi
qu'ils fassent, je ne parlerai jamais contre eux devant autrui
; s'il est possible de prendre leur défense, je les défendrai
; s'ils se sont couverts de honte, j'enfermerai cette honte dans
mon coeur et je me tairai ; quoi que je pense alors d'eux, je
ne servirai jamais de témoin à charge. »
La
grande erreur a été de donner à l'armée
une mission qui ne correspondait pas à sa vocation.
C'est désormais un voeu pieux en ce qui concerne les événements
d'Algérie. Ce n'en est pas un pour l'avenir, et il me semble
que nos dirigeants devraient s'interroger avant de transformer
l'armée française en corps de police internationale.
Vous
souvenez-vous de ce que vous pensiez, alors, de la situation ?
Je
m'occupais, auprès du général Massu, de la
presse. Je lisais chaque jour des journaux qui n'étaient
pas très tendres à l'égard de l'action de
la 10e division parachutiste en Algérie. Aussi étais-je
aux premières loges pour mesurer l'impact terrible que
la dénonciation de ces méthodes avait eu sur la
mission de la France en Algérie. Cette guerre qui avait
été, au départ, comme je vous l'ai dit, une
guerre civile entre Français musulmans devenait peu à
peu une guerre politique, une guerre civile entre Français.
Par là s'aggravait la fatigue de l'opinion vis-à-vis
de la guerre que nous menions là-bas, au risque de nous
mettre hors d'état de saisir la chance que la victoire
militaire allait nous donner de résoudre le problème
algérien par le haut.
Comment
organisiez-vous le filtrage de l'Information à destination
des journalistes ?
Je
crois ne leur avoir jamais menti. Mais je ne leur disais pas non
plus toute la vérité.
Sentiez-vous
un grand décalage entre la réalité du terrain
et la perception qu'en avait la presse métropolitaine ?
-
La presse, dans sa majorité, avait une vue manichéenne
de la guerre d'Algérie, qui lui paraissait mettre aux prises,
d'un côté, les pieds-noirs et l'armée, de
l'autre, le malheureux peuple algérien. C'est l'image que
les dirigeants du FLN eux-mêmes au Caire puis à Tunis,
étaient parvenus à populariser avec un succès
incroyable, en la greffant sur le fond d'anticolonialisme primaire
qui régnait à Paris. Les journalistes qui venaient
en reportage en Algérie rencontraient quelques généraux
français et voyaient les troupes françaises occupées
à maintenirl'ordre puis ils se faisaient clandestinement
mettre en contact avec les responsables plus ou moins représentatifs
de la rébellion qui leur répétaient les slogans
qu'ils étaient tout prêts à entendre selon
lesquels ils incarnaient la juste lutte d'un peuple opprimé.
Comment
s'est traduite, sur le terrain, l'arrivée de De Gaulle
au pouvoir ?
Le
13 mai a été, tout de même, un immense espoir.
De Gaulle a prononcé les paroles
"Je
vous ai compris "
« A partir d'aujourd'hui, il n'y a plus sur ce territoire
que des Français à part entière"
qui nous ont laissé croire que l'issue était possible
: non que nous ayons été des fanatiques de l'algerie
française, mais parce qune nous pensions qu'avec De Gaulle
nous n'irions en aucun cas vers des abandons honteux et des abus
de confiance analogues à ceux que nous avions connus en
Indochine .
Vainqueurs
sur le terrain , dotés d'un gouvernement fort, a la tête
duquel se trouvait un homme qui avait refusé la défaite
de 1940 il nous semblait clair que nous allions vers une solution
qui ne serait peut-être pas celle que certains espéraient,
mais serait en tout cas durable. Notre obsession, cette fois ,
n'était pas d'empêcher l'indépendance de l'Algérie.
Elle était d'éviter la trahison de la parole donnée
aux musulmans qui nous avaient fait confiance et avaient manifesté,
par référendum, leur volonté de rester associés
à la France, et le déracinement d'une population
qui estimait légitimement que cette terre était
aussi la sienne .
A ce moment-là, la victoire militaire semblait acquise
. Des groupes de musulmans se déguisaient en fellaghas
et allaient de maison en maison, pour demander de l'aide. Ils
étaient partout, chassés sans ménagements
excessifs.

Analysez-vous
le revirement de De Gaulle comme une c onversion ou pensez-vous
qu'il avait, dès l'origine, caché son jeu et ses
intentions ?
-
C'est une polémique qui divise les historiens. Des pans
entiers de bibliothèques sont consacrés à
cette question et je n'ai pas de qualité particulière
pour la trancher. Je n'ai jamais eu l'occasion d'en discuter avec
lui, j'ai fait seulement partie de ces groupes d'officiers qu'il
a approchés pour leur dispenser des paroles d'apaisement
telles que :
« Moi vivant jamais le drapeau du
FLN ne flottera sur Alger. »
«
Nous sommes ici et nous y resterons. »
« Je ne traiterai jamais avec ces gens -là "
Mentait-il,
alors, en disant cela ? Ce ne serait pas très honorable
.Mon sentiment est plutôt que son orgueil l'avait'`à
penser que sa seule arrivée allait suffire à apporter
la paix .Or cette paix des braves qu'il rêvait de susciter
n'est venue que trois ans plus tard, avec l'affaire Si Salah.Entre-temps,
De Gaulle s'était mis dans la tête de changer le
monde en devenant le chef des pays non alignés. Il s'est
laissé convaincre par des hommes tels que Maurice Couve
de Murville que l'Algérie était un handicap. qui
l'empéchait de s'imposer comme le leader naturel des pays
arabes, et le porte--parole d'une troisième voie qui allait
mettre un terme a l'affrontement des blocs.
Avez-vous été amené
à prendre parti, le 21 avril 1961, pour le putstch d'Alger
?
La rebellion du 21 avril 1961 est l'aboutissement d'une séquence
qui a commencé avec la défaite de la France en 1940,
l'humiliation de l'Occupation, la déchirure de l'épuration,
la défaite en Indochine : un certain nombre d'entre nous
n'ont pas supporté l'idée de voir, une fois de plus,
une victoire militaire transformée en débâcle
diplomatique. Epidermiquement, nous n'étions pas en état
d'accepter une trahison de plus de la parole que nous avions donnée.
L'étincelle ce fut le complot des généraux.
Elle est arrivée à un moment , ou comme un certain
nombre de mes camarades, moralement , j'étais prêt.
Concrétement
, comment les choses se sont-elles passées ?
J'étais
alors commandant, adjoint au colonel commandant le 1er Régiment
étranger de parachutistes. Revenant à notre base
arrière apres quelques jours d' opérations, mon
colonel, dont la famille réside alors en métropole
prend quelques jours de permission.
Au moment de monter dans l'avion, à Maison-Blanche, il
me prenden me disant :
« Saint Marc, je vous confie le régiment nous vivons
une époque tragique où il n'est pas facile, d'être
soldat, et de savoir où est le droit chemin. »
Il ne pensait pas si bien dire. Quelques jours plus tard, un civil
européen vient me voir et me dit : « Mon commandant
le général Challe est revenu clandestinement à
Alger. Il veut vous voir de toute urgence. »
Le général Challe avait commandé toutes les
troupes françaises en Algérie , et les avait menées
à la victoire. Ensuite, en désacord vec le général
De Gaulle, il avait donné sa démission et avait
été interdit de revenir sur le territoire algérien.
Je le connaisais pour avoir été son officier d'
opérations dans la '' 10ème DP" , et j'avais
pour lui de l'admiration, du respect et de l' amitié. J'ai
donc tout de suite compris qu'il allait me proser quelque chose
de grave, et j'ai senti au plus profond de moi --même cette
douleur physique que l'on éprouve, au début des
combats, lorsqu'on entend siffler les premières rafales.
Je
me suis donc rendu à la convocation du général
Challe,qui m'a reçu dans une villa des hauts d'Alger. On
m'a fait entrer dans une pièce où il était
seul derrière une table, en civil, avec son blouson d'aviateur,
sans aucun insigne de grade. Il avait le regard fatigué,
les traits tirés, et j'ai deviné le poids terrible
qui pesait sur ses épaules. Il m'a dit : « Saint
Marc, je vais vous demander quelque chose de terrible. »
Il l'a dit à deux reprises. « Vous commandez actuellement
le 1" REP, et moi, cette nuit, je m'apprête à
entreprendre une action illégale contre le gouvernement
de mon pays, parce que j'estime que ce gouvernement trahit l'armée
— cela n'est encore pas trop grave, elle en a l'habitude
— mais aussi les populations auxquelles nous avons promis
notre protection. Dans quelques jours, quelques semaines, ce gouvernement
va signer avec les représentants de la rébellion
qui sont à Tunis un accord au terme duquel nous devrons
quitter l'Algérie et livrer ces populations au massacre
ou à l'exil collectif.
Je vais donc entreprendre cette action pour m'y opposer. J'ai
besoin de vous. J'ai peu de temps à vous accorder : je
voudrais savoir si vous êtes avec moi ou contre moi.
Je
lui ai posé quelques questions, auxquelles il a répondu.
Puis il y a eu entre lui et moi un long silence au cours duquel,
comme dans un éclair, j'ai revu des mains qui se crispaient
sur les ridelles d'un camion : les mains de mes partisans que
j'avais abandonnés, et les crosses abattues sur ces mains
pour leur faire lâcher prise.
Je lui ai dit : « Mon général, je me mets
à vos ordres, et je pense que le 1" REP me suivra.
» En quelques secondes, j'étais passé du statut
d'un officier discipliné et légaliste à celui
d'un rebelle passible de douze balles dans la peau dans les fossés
du fort de Vincennes. Sur la lame du rasoir, j'avais fait basculer
mon destin.
Quarante
années plus tard , cette aventure vous parait-elle avoir
été vouée d'évidence a l'échec
-
C'est difficile à dire. Si les armées de l'Axe avaient
été victorieuses, que dirait-on aujourd'hui de la
dissidence gaulliste de 1940 ? Elle était, elle aussi,
vouée à l'échec. Il est toujours facile de
découvrir, après coup, les lacunes d'une telle entre-prise.
Il me semble qu'il y a eu deux erreurs d'appréciation.
La première tient à ce que le général
Challe avait quitté l'Algérie cinq ou six mois avant.
Or, pendant ces six mois, le gouverne-ment s'était livré,
sous la houlette de Pierre Messmer, à un énorme
travail de changement d'affectations : il avait remplacé
un grand nombre de commandants d'unités et de responsables
de régions militaires. Si bien que beaucoup de ceux dont
le général Challe pensait pouvoir être certain
avaient perdu leur place, ou été repris en main.
La deuxième erreur nous a été commune : nous
avons sous-estimé la fatigue de l'opinion française
à l'égard de la guerre d'Algérie. Les Français
en avaient plus qu'assez, ils étaient prêts à
consentir à tous les abandons, ils voulaient que cela se
ter-mine, peu importe comment.
Trois ans plus tôt, ils avaient cependant plébiscité
De Gaulle parce qu'il promettait de maintenir l'Algérie
dans la France...
Il y a eu un tragique déphasage dans le calendrier. Travaillée
par la propagande qui nous était défavorable, l'opinion
s'est résignée à baisser les bras au moment
même où la rébellion était prête
à déposer les armes.

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