Après
le putsch, l'institution militaire vous a-t-elle complètement
reniés ?
Oui.
Il a fallu attendre 1969, le départ de De Gaulle, puis
le passage d'une génération pour que nous soyons
réhabilités. Après les événements
d'Algérie, l'armée a été totalement
inféodée au pouvoir gaulliste, et commandée
par des hommes qui nous détestaient.

Six
ou sept ans après, une nouvelle génération
de responsables, qui n'avaient pas été directement
impliqués dans l'abandon honteux de l'Algérie, est
arrivée aux postes de responsabilité, et elle a
renoué avec nous.
Lorsque j'ai été gracié, et que je suis sorti
de prison, je me suis installé à Lyon, où
j'ai trouvé une situation dans une entreprise. Un jour,
en 1969, j'ai rencontré un camarade de promotion, qui était
colonel en activité. Il m'a invité à déjeuner
au mess des officiers. Alors que nous avions passé notre
commande, j'ai vu arriver l'adjudant-chef qui était gérant
du mess. La mine un peu pâle, il m'a demandé de passer
dans son bureau.
Arrivé
là, il m'a montré une note de service signée
par le gouverneur militaire de Lyon, dans laquelle il était
dit qu'un certain nombre d'anciens officiers ou sous-officiers
sortaient de prison, et qu'il était rappelé, sous
peine de sanctions graves, aux responsables des différents
établissements militaires qu'ils devaient s'abstenir de
tout contact avec eux et qu'il était interdit de les recevoir
sur un terrain militaire.
Petit à petit, les choses ont fini par changer. Certains
de nos anciens subordonnés, que nous avions connus lieutenants
ou capitaines, et qui n'avaient pas été balayés
par la vague de persécution qui a sévi dans l'armée
pendant quelques années, sous l'égide de la sécurité
militaire, sont arrivés aux commandes de l'armée,
et l'état d'esprit à notre égard s'est profondément
transformé. Aujourd'hui, il m'arrive de trouver des généraux
en tenue à des conférences que je donne.
Comment
expliquez-vous, dans ce contexte, le retentissement de la campagne
contre l'action de l'armée en Algérie ?
Cela
s'explique, en partie, par l'ambiance de culpabilisation et d'autoflagellation
qui préside, depuis une décennie, à toute
relecture de l'histoire de France. C'est une espèce de
maladie « fin de siècle ».Dans ce cadre ceux
qui ont pris parti a l'époque , pour l'indépendance
de l'algérie ceux que l'on a appelé a l'époque
les "porteurs de valises " , voudraient aujourd'hui
que l'on reconnaisse qu'ils ont eu raison et qu'ils ont incarné
, contre leur propre pays , le parti de la résistance .Pour
ce faire il faut que le camp d'en-face soit compos" de salauds
, de tortionnaires, de criminels
Je
ne crois pas que l'opinion accepte ce manichéisme qui ne
correspond en rien à la vérité. La guerre
est une aventure cruelle. Mais l'action de l'armée en Algérie
ne se limite pas a elle. L'armée a contribué, aussi,
à civiliser l'Algérie. Je pense a l'action bienfaisante
qu'y ont exercée les SAS. Je pense a ce beau-frère
que j'ai évoqué dans "les Sentinelles du soir,"
et qui est mort là-bas.

C'était
un homme de grand idéal, qui vivait milieu de ses harkis,
et dont tout l'effort était de contribibuer a bâtir,
en Algérie, un ordre de justice et de progrès. Beaucoup
d'officiers, de sous-officiers, d'hommes de troupe qui ont "servi"
en Algérie ont été habités par le
même idéal.
Ils
y ont sacrifié leur jeunesse, leur confort, et parfois
leur liberté ou leur vie, Les huit années que l'armée
française a passées, de 1954 à 1962 en Algérie,
ont été, aussi, le cadre d'une histoire d'amour,
et les réduire à une suite de violences et d'actions
totalitaires oppressives relève de la propagande, ou, au
moins, de l'erreur d'appéciation
Que
pensez-vous de la propension des sociétés modernes
à instituer des tribunaux pour juger des comport ments
des soldats au combat
A
ma connaissance, on n'a jamais songé à instituer
des tribunaux pour juger les vainqueurs. Or l'Histoire ne distribue
pas les victoires en fonction du bon droit
Ne
peut-on, tout de même, tenter de faire cohabiter la guerre
et la justice ?
La
guerre est un mal, c'est une source de souffrances pour qui la
subissent et pour ceux qui la font. Mais la guerre est aussi.
un midable révélateur. Elle montre l'homme dans
sa vérité nue , a a l'heure du combat, à
l'heure du courage et de la peur. elle nous fait apparaître
tels que nous sommes . Elle révèle les lâchetés,
les peurs , parfois les cruautés, mais aussi la générosité
, l'abnégation, le courage. Elle nous montre que l'homme
est une réalité qui vaut la peine d'être dépassée,
que le dépassement suprême, c'est de risquer sa vie
pour ce qu'on aime et que l'on tient pour supérieur à
soi.

Telle
est la grandeur de la guerre . elle dévoile le mystère
de l'homme a travers le sacrifice de ceux qui font de leur mort
l'accomplissement de toute une vie.
Note
du Webmaster
Cet
interview est mis en ligne sans esprit de polémique au
bénéfice de ceux d'entre-nous qui ont servi en Algérie.
Il m'a paru utile de vous en faire profiter .

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