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Pierre Schoendoerffer, flanqué de son inséparable Perraud — les voilà encore ces deux-là ! — filme impavide le déroulement de la progression. D'un seul coup tout s'embrase : obus, rafales, grenades... Des légionnaires tombent, les autres, par bonds, de rocher en rocher, d'arbre en arbre, s'infiltrent, empoignant le Viet au corps à corps ; des blockhaus invisibles à quinze mètres se dévoilent brutalement. J'envoie le sous-lieutenant Boisbouvier déborder par la gauche ; lui aussi, balayé à mi-pente, blessé, ensanglanté, entraîne irrésistiblement ses légionnaires. A droite, à gauche, c'est bloqué. Il ne reste plus qu'à aborder de face. J'y vais avec la commandement ; c'est pire qu'au Garigliano !

Tout près de moi, Martin, blessé au bras, continue de s'expliquer à la mitraillette avec un de ses vis-à-vis et l'abat.
Une brûlure fulgurante à la jambe droite, je fais deux ou trois pas en marchant sur mon tibia et m'écroule ; ma jambe est cisaillée entre la cheville et le genou. A quelques mètres au-dessus, Bertrand, Sterley et Boisbouvier vont peut-être coiffer le sommet maintenant tout proche. Je passe par radio le commandement à Bertrand, Martin m'envoie bouler au pied du piton où mon ordonnance et deux de ses camarades tentent de me traîner à l'abri. Une autre grenade, nous serons à nouveau touchés, tous les trois. A vingt mètres, Schoendoerffer, miraculeusement indemne, filme toujours. Beres, légèrement atteint n'a presque plus de munitions. Dans un brouillard, j'entends Bertrand qui me confirme qu'ils ont coiffé le piton, mais n'ont pu s'y maintenir faute d'effectifs.
Les Viets groggys ne les ont pas contre-attaqués ni poursuivis. »
C'est aussi à la fin de janvier que la garnison attend l'affrontement. Le 15 janvier, pour la première fois, une salve d'obus s'écrase sur la piste d'aviation. Celui que l'on surnomme bien vite le « canon jap » vient de se manifester .

 

Pendant deux mois, tous les jours impairs, ses obus rappelleront son" bon souvenir" à la garnison. Malgré les bombardements intensifs sur le site présumé de sa position, malgré aussi les opérations terrestres montées en direction des collines de l'est, il poursuivra sa sinistre besogne, fauchant les imprudents pris sous son tir.

Pendant tout le mois de février, tous les bataillons d'intervention du camp retranché, parmi lesquels le ler BEP et le 1/3e REI, aidés par des bataillons implantés, dont les 3/3e REI et 1/2e REI tenteront de venir à bout de cette pièce. En vain. Bien au contraire, chaque fois, les unités avancées sont immédiatement contre-attaquées par des effectifs nombreux et fanatisés. En face des quelques compagnies françaises, Giap, qui méprise les pertes, aligne des régiments complets de la 312, qui a rejoint le siège, ou de la 316.
II est vraisemblable que ce « canon jap » n'était que la pièce directrice de chacune des batteries viets chargées d'accrocher le tir en vue de l'attaque. Au PC du colonel de Castries, on finit par renoncer à ces sorties trop coûteuses au regard des résultats obtenus. D'autant plus, qu'à la fin du mois de février, d'autres sujets de préoccupation assaillent le commandement. En effet, à proximité des points d'appui les plus excentrés,Gabrielle au nord (5/7e RTA) ou Béatrice au
nord-est (3/13e DBLE), les Viets montrent une activité fébrile, creusant des tranchées,
implantant des casemates, certaines d'entre-elles en vue directes des créneaux français.

Tout indique un siège en règle, l'amorce d'une asphyxie de ces positions. Dès le début du
mois de mars, quotidiennement et à tour de rôle, les unités d'interventions (1 er BEP ou 8e Choc) iront ainsi détruire les sapes, combler boyaux et tranchées aménagés durant la nuit.
Ces opérations, relativement aisées au début, vont devenir de plus en plus ardues, pour être franchement hasardeuses, voire impossibles, à quelques jours de l'attaque.
Le 11 mars par exemple, il faut l'intervention supplémentaire de deux compagnies pour dégager le 3e Tirailleurs,durement accroché à moins de 50 mètres des avant-postes de Béatrice. Ces deux compagnies du BEP sont même contre-attaquées par un bataillon ennemi appuyé par des mortiers et des mitrailleuses lourdes. Ce même jour, "le jap " détruit au sol un C 82 Fairchild Packett

L'attaque est proche.?
« C'est pour demain »


Le 12 mars au PC du GM 9, le téléphone grésille : c'est de Castries qui prévient le lieutenant Gaucher, chef de corps 13e DBLE et commandant le mobile que

l'attaque est « pour demain 17 heures ».

Il est 17 heures, ce 13 mars. Sur les positions de Béatrice, 450 légionnaires du 3/13 commandées par le chef de bataillon Pégot attendent l'assaut. Le matin, ils savent qu'ils auront à supporter le premier choc de la bataille et se préparent à affronter 9000 bo-doïs des TD 141, 209 et 165 qui constituent la division 312. Le bataillon est solide, même si son effectif est au plus bas. Les quatre compagnies qui le composent ne comportent en moyenne que 85 gradés et légionnaires aux ordres d'un seul officier . Les sections sont commandées par des sergents plus rarement par des sergents-chefs. Malgré tout réputation oblige, la position donne une impression de solidité rassurante. Toute la journée du 13 les légionnaires peuvent observer l'adversaire, dont les fantassins se préparent, à moins de 100 mètre des boyaux qui serpentent sur les crêtes voisines, au nord et au sud, et que rien ne vient déranger, ni artillerie, ni aviation.
17h15 pour les uns, 17h18 pour les autres, Béatrice vole en éclats

C'est l'apocalypse

 

La formidable préparation d'artillerie, durant trois heures , quatre heures ? Ces grondements, ces sifflements ,ces explosions sourdes, ces déflagrations ce sont des obus, des milliers d'obus de tous calibres , mortiers lourds, canons SKZ de 57 et artillerie de 77 et 105 mm, une gigantesque préparation d'artillerie qui pilonne et dévaste les pc.

Plus de 20.000 coups, au cours de la nuit

La 351 ème division lourde a de quoi animer le paysage.

 

 

 

 

 

Le sergent Kubiak du 3/13e DBLE a vécu cet d'enfer :


C'est alors que, d'un coup, la fin du monde arrive"

Il semble que le piton Béatrice "s'envole, réduit en poussière". Tout autour de moi, la terre se soulève, et les légionnaires s'écroulent ça et là, mortellement touchés. Je fonce vers la position que je dois tenir et retrouve tous mes légionnaires déjà prêts à accueillir l'ennemi au cas où il se risquerait à venir jusqu'à nous. Pour l'instant, pas un seul mort parmi eux et cela semble un miracle après tous ceux que je viens de voir tomber en quelques instants. Ce serait vraiment une chance inouïe que cela continue de cette façon. Tout surpris, nous nous demandons où les Viets ont pu prendre tant de canons, capables de déclencher un tir d'artillerie d'une telle puissance. Les obus tombent sans arrêt comme une brusque averse de grêlons meurtriers un soir d'automne. Blockhaus après blockhaus, tranchée par tranchée, tout s'écrase, ensevelissant les hommes et les armes. »
Très vite, les pertes sont élevées. Plus grave encore, vers 17h30, un obus à court retard s'enfouit et explose dans l'abri du commandant Pégot qui est tué ainsi que son adjoint, le capitaine Pardi. Le bataillon n'est plus commandé alors que, dans les barbelés où ils se sont glissés, les premiers Viets des compagnies d'assaut ouvrent des passages avec des sortes de bengalore et se lancent à l'attaque.
Le tir de préparation viet que le colonel Piroth, commandant l'artillerie du PC.GONO croyait impossible, est levé. Le corps à corps s'engage ; il va durer cinq heures. Deux fois, trois fois, la 9e compagnie du lieutenant Carrière (Béatrice 1) et la 11 ème compagnie du lieutenant Turpin (Béatrice 3) rejettent les Viets au ravin. Deux fois, trois fois, l'artillerie ennemie prend le relai, à peine contre-battue par une artillerie française qui ne peut, et ne pourra pratiquement jamais situer les pièces de la 351. Les légionnaires sont hachés par les obus sur leurs emplacements de Combat ; les sections sont décimées et les pertes Considérables. Partout, les hommes sont au corps à corps :
Voilà bientôt quatre heures que nous tirons.
A sa demande d'où peuvent-ils bien sortir ? Malgré nos rafales continues et les trous que nous faisons sans cesse dans leurs rangs, les Viets, comme pour nous narguer, continuent d'avancer. Je serre les dents et encourage les légionnaires qui viennent vers moi pour savoir ce qu'il doivent faire.
Un légionnaire est aux prises avec un Viet. N'ayant plus de munitions, il se déchaîne, frappant soudain son adversaire avec sa mitrailleuse. Et pourtant, son bras gauche n'est plus qu'un lambeau de chair sanguinolente, bien près de se détacher du corps. Dans l'ardeur du combat, c'est tout juste s'il ressent son horrible blessure. Il attendra jusqu'à 8 heures du matin avant qu'on puisse l'amputer, au centre du terrain qu'il aura réussi à rejoindre par ses propres moyens Puis à la première contre-attaque, il s'échapera de l'ambulance et mourra en héros après avoir combattu de longues minutes avec son unique bras. »
Le sort s'acharne sur la 13e DBLE ; après le commandant Pégot, au coeur même de Diên Biên Phu, un peu avant 20 heures, un autre obus explose dans le blockhaus du colonel Gaucher, commandant le GM 9 et les deux bataillons de la 13e DBLE dont il est le chef de corps.
« On ne peut assurer la défense du point d'appui par radio, observe le colonel Gaucher ; il faut désigner un officier pour tâcher de rejoindre Béatrice et en prendre le commandement sous le feu. Je propose que l'on... Il ne peut achever sa phrase. Un obus crève le toit de l'abri, percute le bureau de bois sur lequel il explose. Dans le noir, Van Fleteren écarte la toile de sac qui séparait les deux abris et projette sa lampe électrique autour de lui. Dans la poussière et la fumée, il découvre un spectacle horrible.
Le colonel gît sous les débris de son bureau, les membres disloqués, le visage méconnaissable. A ses côtés, les lieutenants Bailly et Bretteville. Le premier est décapité, le second, la poitrine défoncée a été tué sur le coup. Le commandant Martinelli semble sérieusement touché, mais il vit. Seul, presque indemne, le commandant Vadot, protégé par sa position un peu en retrait, a reçu une gerbe de petits éclats dans le thorax. Un quart d'heure après, le colonel mourait. »
Sa mort va avoir des conséquences funestes sur le sort de la bataille en cours, tout le système de défense de l'est de Diên Biên Phu étant décapité. Certes, le commandant Vadot, bien que blessé, prend aussitôt le commandement de l'unité, mais la contre-attaque pour dégager Béatrice ne pourra se produire. Béatrice, pendant ce temps, agonise. A 22 heures, le lieutenant Carrière est tué. Ses légionnaires, une poignée de survivants, dont de nombreux blessés, se replient sur ordre, vers les positions de la 12e compagnie du lieutenant Nicolas qui tient Béatrice 2.
Pour sa part, le lieutenant Turpin, blessé, est hors d'état d'assurer ses fonctions. A 23 heures, à son tour, la lie compagnie doit céder du ter-rain. Après cinq heures d'un combat intense, la moitié du PA Béatrice est aux mains des Viets. L'artillerie française, notamment la 2e CMMLE et la CEPML, assurent, depuis les collines de Dominique, des tirs de destruction sur les positions conquises, obligeant les Viets à se regrouper au creux d'un ravin entre Béatrice 1 et Béatrice 3. Là, après une heure de flottement, tous moyens réunis, les régiments 141 et 209 repartent à l'attaque des deux ultimes bastions, Béatrice 2 et Béatrice 4. Pour les contenir, il ne reste plus que des bribes des 9ème et 11 ème . compagnies, soit 45 hommes au total et 102 survivants des 12e et 13 ème compagnies.

En dépit de leur désespérante infériorité numérique, en dépit aussi du fait qu'il ne reste plus que deux officiers valides, le lieutenant Nicolas et le lieutenant Madelain, commandant la 10e compagnie, la résistance des légionnaires se raidit.

 

On fait Camerone

 

A minuit et demi, les sections d'assaut de Giap prennent pied au coeur du dernier bastion. Les légionnaires du 3/13e DBLE se préparent à bien mourir. A deux heure du matin, tout est fini.
Les hommes, seuls ou par petits groupes, essaient de quitter ce qui fut Béatrice pour rejoindre Claudine ou Dominique. Parmi eux, le sergent-chef Blayer. « A peine le tir d'artillerie était-il levé que les Viets étaient déjà dans nos barbelés. Je suis allé prendre des ordres, mais le blockhaus du lieutenant Carrière était écroulé par des tirs directs de bazooka ou de SKZ. Le lieutenant lui-même était tué et les commandes des charges défensives hors service. J'ai essayé de prendre contact avec le lieutenant Jego,
en vain. Et puis, je me suis retrouvé en-face des Viets que j'ai accueillis à coups de "colt". Une grenade m'a explosé entre les jambes.
J'ai alors tenté de me frayer un passage de la 10e compagnie où se trouvait aussi le P.C du bataillon. Au passage, j'ai récupéré Quinard Mercks et quelques légionnaires. La liaison fut difficile il y avait avait peu de communications entre les pitons et les barbelés qui nous gênaient. Mais nous sommes quand mêmeà temps pour épauler les derniers défenseurs de la 10e compagnie, déjà submergés par les vagues d'assaut viets. Alors, nous nous sommes repliés, par la RP 41, vers Dominique. »
Les Viets capturent le lieutenant Leude, médecin du 3/13e DBLE, seul debout au milieu des morts et des blessés.

 

De Béatrice ne reviennent que "14 Légionnaires ", tous blessés, et qui, malgré tout, reprendront le combat au sein du 1/13e DBLE. Ils se battront a nouveau pour "Eliane" et pour "Huguette" .



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